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lundi 15 octobre 2012

Terres inhumaines, un médecin face la torture



Pierre Dutertre est médecin avant tout. Il exerce d’abord en tant que médecin généraliste, de 1981 à 1995, dans la région de Douai. Ensuite, il se consacre à ce qui lui tient vraiment à cœur, les droits de l’homme. Il s’engage contre la peine de mort aux Etats-Unis, puis dans une association, l’AVRE, pour soigner les victimes de la torture. Il dirige aujourd’hui un centre qu’il a créé, « parcours d’exil », où il travaille en tant que psychothérapeute. IL vient d’écrire le livre : « Terres inhumaines, un médecin face à la torture »

« L’écriture de Terres inhumaines est une réponse à deux énervements qui l’irritent depuis les treize années que je travaille à la prise en soins des victimes de torture. J’ai écrit ce livre tout d’abord pour le grand public, pour faire prendre conscience au lecteur de ce qu’est la torture, cette réalité trop souvent tue, et dont l’évocation suscite très généralement une réaction de « stupeur », « d’hébétude », comme si l’on pouvait fuir… et nier son existence. Il me semblait par ailleurs important de témoigner de mon expérience auprès de ceux de mes confrères et collègues d’autres disciplines qui sont susceptibles de s’y intéresser… et de se mobiliser. Enfin, j’ai voulu adresser un message fort aux pouvoirs publics, leur dire que quelles que soient les mesures prises pour rendre plus difficile l’accès au droit d’asile et les conditions de vie en France des demandeurs d’asile, jamais ceux-ci ne renonceront à venir sur notre territoire. Il s’agit pour eux d’une question de survie…et même la misère la plus noire en France vaut mieux pour eux que la terreur et les souffrances qu’ils ont endurées (et risquent encore)dans leur pays d’origine. Ce qui m’a toujours marqué et continue de le faire, c’est l’extraordinaire potentialité des patients, ce sont les ressources inimaginables dans lesquelles ils ont puisé pour survivre, venir en France, et jusqu’à nous…après avoir été soumis à une machine aussi écrasante que la torture. Ce qui m’étonne encore aujourd’hui, c’est aussi la capacité de ces victimes, à accorder, malgré ce qu’ils ont enduré, de la confiance (aussi ténue soit-elle, dans les premiers temps) à ces inconnus que sont pour eux les intervenants de Parcours d’Exil. Au-delà de ces constats, les patients que je rencontre me démontrent chaque jour la chance que j’ai d’exercer le métier qui est le mien, l’honneur que j’ai de les rencontrer et de les connaître quelque peu. »
Pierre Dutertre

 Préfacé par Robert Badinter, le livre de Pierre  Dutertre se résume en quelques mots par le titre, c’est l’essence même de ce témoignage. La couverture blanche évoque la terreur, la douleur, vide de sens ou bien à l’ignorance que portent aujourd’hui nos sociétés à un problème omniprésent. Ce livre est donc un témoignage de l’auteur, dans lequel il confie ses sentiments et ses impressions mais aussi quelques histoires de certains de ses patients, rendus anonymes, bien entendu.
Avec la torture, jusqu’ici nous restions dans les généralités et l’abstraction. On entendait parler de la torture dans certains pays pauvres. Mais l’on n’en débattait pas. C’était un sujet qui demeurait et demeure encore tabou. Aujourd’hui grâce à la parole de nombreux suppliciés, le docteur Dutertre fait entrer le lecteur dans cet univers caché où le mal semble travailler à notre insu.
Le tortionnaire est dans la toute-puissance et la bonne conscience. Il agit avec l’appui de l’autorité et se présente comme le représentant de la loi, une loi qui bafoue ses propres bases, en légalisant implicitement et même explicitement la torture.
La torture… des tortionnaires militants ou des exécutants dévoués… « Dans d’autres pays, un pneu est déposé autour du coup de la victime et parfois plusieurs autres viennent entourer son corps. Un tortionnaire y met le feu et le supplicié, hurlant à la mort, essaie vainement de se dégager. Horrifiés ou parfois exaltés, les passants assistent, malgré eux, à une pièce de théâtre improvisée et morbide, les uns s’identifiant à la victime, les autres se plaçant du côté du tortionnaire.
Un jeune homme, encore enfant, raconte l’odieux spectacle auquel il a assisté. Des tortionnaires croisent une femme enceinte et s’enquièrent du sexe de l’enfant à naître. Elle est incapable de répondre.  Alorsils lui assurent qu’ils peuvent l’aider bien qu’ils n’aient pas d’échographie et, là-dessus, ils lui ouvrent le ventre, à grands coups de machette…
Le comble de la perversité, dans cette confusion de responsabilités, consiste à torturer en ne faisant rien. Une femme à été arrêtée en même temps que trois autres. Les trois ont été violées, mais elle a été épargnée ; les tortionnaires lui ont dit qu’elle était trop moche. Comment pourrait-elle attirer un homme puisque les violeurs eux même l’ont dédaignée ? Sa vie est un tourment. Bien plus, à l’audience de l’OFPRA, pour obtenir le statut de réfugié, elle répond  « non » lorsqu’on lui demande si elle à été torturée ? Elle donnera la même réponse à la commission des recours, se condamnant elle-même au refus du statut… »
La torture… gangrène des démocraties et torture autorisée implicitement par le gouvernement… Une parole sans sujet. Dans certains cas, l’autorité cherche le renseignement qui devrait sauver de multiples vies et préserver la « bonne santé de la communauté ». Mais en extorquant l’aveu désiré, elle prive la parole du  sujet qui devrait  la porter et invalide son authenticité. Le plus souvent, la parole dénonciatrice viendra de ceux qui désertent volontairement leur camp,  pour des raisons bonnes ou mauvaises qui leur appartiennent…
« Sept femmes furent arrêtées et furent mises en détention. Un jour, un choix épouvantable leur fut proposé : « Ou on vous viole ou on vous tue » deux refusèrent la première alternative et furent immédiatement assassinées. Les autres furent violées et eurent la vie sauve. Les militaires avaient mis la patiente devant un choix impossible : la mort physique ou psychique ; à sa sortie de prison, elle ne put rejeter le viol sur le violeur puisqu’elle était à son avis « consentante ». Il faudra l’appui du psychothérapeute pour lui ouvrir les yeux… (Cette exemple situe une période de la guerre où étaient recrutés des enfants soldats, représentants l’innocence et donc déroutant ennemi)… »
Cet ouvrage nous révèle l’envers du décor : au nom de la loi, dans toutes les parties du monde, sous les régimes tyranniques où règne la terreur comme dans les démocraties elles-mêmes, tout près de chez vous et dans les territoires lointains, des êtres humains sont en train de détruire l’altérité de l’autre pour extorquer la parole qu’ils veulent entendre mais aussi qu’ils veulent taire !
La torture finit par s’attaquer à la beauté. C’est là qu’elle révèle avec le plus de force la perversité de toute sa puissance. Elle s’attaque aux racines de l’être, à l’image elle-même, à tel point que la femme ou l’homme finissent par avoir un profond dégoût pour eux-mêmes… Dans cet univers, la torture pousse la cruauté jusqu’à détruire la filiation à l’intérieur de la famille et la communauté. Il faut, à tout prix, détruire l’espace, qui répartit les places inaliénables de chacun, en apposant le distance entre les générations et entre les filles et les fils de la même fratrie…
Nos interlocuteurs n’ont pas toujours envie d’entendre parler de la torture. Lorsque le sujet entre dans la conversation, il se peut qu’il y ait un grand blanc, un changement de sujet ou au mieux une discussion très succincte et survolée. La torture fait peur parce que, de plus en plus souvent, elle est pratiquée par des gens d’ici et là, des gens de tous les jours. Et c’est contre ce sujet tabou que le docteur Dutertre se bat et sur lequel il nous fait part de son métier.
Un médecin face à la torture… Le docteur Dutertre s’est donné pour mission de soigner ceux dont les souffrances sont le fruit de tortionnaires à l’écoute d’un régime totalitaire, d’un Etat en guerre civile ou autre… Les tortures se pratiquent là où l’autorité est une dictature. Ils reçoivent en leur centre de soins 800 personnes par an. La moyenne d’âge est de 25-30ans. Des ressortissants de 46 pays alors que 150pays sur 198 pratiquent la torture. 80ù de leurs patents sont africains, les autres viennent d’Europe et de l’ex URSS, d’Asie, du Maghreb, des Amériques et du Proche-Orient.  Tous torturés dans des commissariats, des casernes, des prisons ou même chez eux. Quand ils se réfugient en France, ils viennent au centre de soins grâce au bouche à oreille, par le biais de centre d’accueil où sont envoyés par l’Ofra (Office français de protection des réfugiés et apatrides.) IL n’y a pas 10ù d’entre eux qui ont des papiers en règle.
Mais que deviennent ces victimes ? Que leur arrive-t-il une fois confrontés à la vraie vie ? Comment vivent-ils leur trauma ? Ces questions ont bien évidemment plusieurs réponses. Certains, la plupart dans ce livre, peuvent avoir des réactions violentes et incontrôlées face à une scène similaire ou une parole identique à leur vie sous la torture. Réactions violentes  qui se manifestent soit par la parole simplement mais également par des coups et blessures. Stimulation de l’auto-défense.
Un métier dur, réaliste et combien précieux et honorable… « il faut évoquer l’indescriptible ». En effet, c’était un moyen pour lui de montrer l’horreur présente dans beaucoup de pays. Chaque jour il écoute avec soin et sensibilité les témoignages ô combien cauchemardesques de réfugiés.
Plus qu’un témoignage, Terres inhumaines est un ressentiment de plusieurs vies torturées dans le monde d’aujourd’hui que le Docteur Dutertre nous raconte. Ce livre est captivant dans la curiosité qu’il apporte mais aussi dans l’ébahissement. Car comment ne pas ressortir choqué d’histoires de torture, de tortionnaires, de gouvernements voisins totalitaires ? Si l’on est sensible, qu’on a l’imagination et que l’on peut voir, sentir, comprendre à la sensation près ce que l’on lit… Ce livre est à la fois une source de vérité qui hanteront vos nuits. La visée de ce témoignage est de faire prendre conscience de ce qu’est la torture, cette réalité trop souvent tue, et sont l’évocation suscite très généralement une réaction de stupeur.
Compte-rendu lecture
Terres inhumaines, un médecin face à la torture.
(Pierre Dutertre, JC Lattès – 2007)
Natacha Bordes

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