Pierre Dutertre est médecin avant tout. Il exerce d’abord en
tant que médecin généraliste, de 1981 à 1995, dans la région de Douai. Ensuite,
il se consacre à ce qui lui tient vraiment à cœur, les droits de l’homme. Il s’engage
contre la peine de mort aux Etats-Unis, puis dans une association, l’AVRE, pour
soigner les victimes de la torture. Il dirige aujourd’hui un centre qu’il a
créé, « parcours d’exil », où il travaille en tant que
psychothérapeute. IL vient d’écrire le livre : « Terres inhumaines,
un médecin face à la torture »
« L’écriture de
Terres inhumaines est une réponse à deux énervements qui l’irritent depuis les treize
années que je travaille à la prise en soins des victimes de torture. J’ai écrit
ce livre tout d’abord pour le grand public, pour faire prendre conscience au
lecteur de ce qu’est la torture, cette réalité trop souvent tue, et dont l’évocation
suscite très généralement une réaction de « stupeur », « d’hébétude »,
comme si l’on pouvait fuir… et nier son existence. Il me semblait par ailleurs
important de témoigner de mon expérience auprès de ceux de mes confrères et
collègues d’autres disciplines qui sont susceptibles de s’y intéresser… et de
se mobiliser. Enfin, j’ai voulu adresser un message fort aux pouvoirs publics,
leur dire que quelles que soient les mesures prises pour rendre plus difficile
l’accès au droit d’asile et les conditions de vie en France des demandeurs d’asile,
jamais ceux-ci ne renonceront à venir sur notre territoire. Il s’agit pour eux
d’une question de survie…et même la misère la plus noire en France vaut mieux
pour eux que la terreur et les souffrances qu’ils ont endurées (et risquent
encore)dans leur pays d’origine. Ce qui m’a toujours marqué et continue de le
faire, c’est l’extraordinaire potentialité des patients, ce sont les ressources
inimaginables dans lesquelles ils ont puisé pour survivre, venir en France, et
jusqu’à nous…après avoir été soumis à une machine aussi écrasante que la
torture. Ce qui m’étonne encore aujourd’hui, c’est aussi la capacité de ces
victimes, à accorder, malgré ce qu’ils ont enduré, de la confiance (aussi ténue
soit-elle, dans les premiers temps) à ces inconnus que sont pour eux les
intervenants de Parcours d’Exil. Au-delà de ces constats, les patients que je
rencontre me démontrent chaque jour la chance que j’ai d’exercer le métier qui
est le mien, l’honneur que j’ai de les rencontrer et de les connaître quelque
peu. »
Pierre Dutertre
Préfacé par Robert
Badinter, le livre de Pierre Dutertre se
résume en quelques mots par le titre, c’est l’essence même de ce témoignage. La
couverture blanche évoque la terreur, la douleur, vide de sens ou bien à l’ignorance
que portent aujourd’hui nos sociétés à un problème omniprésent. Ce livre est
donc un témoignage de l’auteur, dans lequel il confie ses sentiments et ses impressions
mais aussi quelques histoires de certains de ses patients, rendus anonymes,
bien entendu.
Avec la torture, jusqu’ici nous restions dans les
généralités et l’abstraction. On entendait parler de la torture dans certains
pays pauvres. Mais l’on n’en débattait pas. C’était un sujet qui demeurait et
demeure encore tabou. Aujourd’hui grâce à la parole de nombreux suppliciés, le
docteur Dutertre fait entrer le lecteur dans cet univers caché où le mal semble
travailler à notre insu.
Le tortionnaire est dans la toute-puissance et la bonne conscience.
Il agit avec l’appui de l’autorité et se présente comme le représentant de la
loi, une loi qui bafoue ses propres bases, en légalisant implicitement et même
explicitement la torture.
La torture… des tortionnaires militants ou des exécutants
dévoués… « Dans d’autres pays, un
pneu est déposé autour du coup de la victime et parfois plusieurs autres
viennent entourer son corps. Un tortionnaire y met le feu et le supplicié,
hurlant à la mort, essaie vainement de se dégager. Horrifiés ou parfois
exaltés, les passants assistent, malgré eux, à une pièce de théâtre improvisée
et morbide, les uns s’identifiant à la victime, les autres se plaçant du côté
du tortionnaire.
Un jeune homme, encore
enfant, raconte l’odieux spectacle auquel il a assisté. Des tortionnaires
croisent une femme enceinte et s’enquièrent du sexe de l’enfant à naître. Elle
est incapable de répondre. Alorsils lui
assurent qu’ils peuvent l’aider bien qu’ils n’aient pas d’échographie et,
là-dessus, ils lui ouvrent le ventre, à grands coups de machette…
Le comble de la
perversité, dans cette confusion de responsabilités, consiste à torturer en ne
faisant rien. Une femme à été arrêtée en même temps que trois autres. Les trois
ont été violées, mais elle a été épargnée ; les tortionnaires lui ont dit
qu’elle était trop moche. Comment pourrait-elle attirer un homme puisque les
violeurs eux même l’ont dédaignée ? Sa vie est un tourment. Bien plus, à l’audience
de l’OFPRA, pour obtenir le statut de réfugié, elle répond « non »
lorsqu’on lui demande si elle à été torturée ? Elle donnera la même
réponse à la commission des recours, se condamnant elle-même au refus du statut… »
La torture… gangrène des démocraties et torture autorisée
implicitement par le gouvernement… Une parole sans sujet. Dans certains cas, l’autorité
cherche le renseignement qui devrait sauver de multiples vies et préserver la « bonne
santé de la communauté ». Mais en extorquant l’aveu désiré, elle prive la
parole du sujet qui devrait la porter et invalide son authenticité. Le
plus souvent, la parole dénonciatrice viendra de ceux qui désertent volontairement
leur camp, pour des raisons bonnes ou
mauvaises qui leur appartiennent…
« Sept femmes
furent arrêtées et furent mises en détention. Un jour, un choix épouvantable
leur fut proposé : « Ou on vous viole ou on vous tue » deux
refusèrent la première alternative et furent immédiatement assassinées. Les
autres furent violées et eurent la vie sauve. Les militaires avaient mis la
patiente devant un choix impossible : la mort physique ou psychique ;
à sa sortie de prison, elle ne put rejeter le viol sur le violeur puisqu’elle
était à son avis « consentante ». Il faudra l’appui du
psychothérapeute pour lui ouvrir les yeux… (Cette exemple situe une période de
la guerre où étaient recrutés des enfants soldats, représentants l’innocence et
donc déroutant ennemi)… »
Cet ouvrage nous révèle l’envers du décor : au nom de
la loi, dans toutes les parties du monde, sous les régimes tyranniques où règne
la terreur comme dans les démocraties elles-mêmes, tout près de chez vous et
dans les territoires lointains, des êtres humains sont en train de détruire l’altérité
de l’autre pour extorquer la parole qu’ils veulent entendre mais aussi qu’ils
veulent taire !
La torture finit par s’attaquer à la beauté. C’est là qu’elle
révèle avec le plus de force la perversité de toute sa puissance. Elle s’attaque
aux racines de l’être, à l’image elle-même, à tel point que la femme ou l’homme
finissent par avoir un profond dégoût pour eux-mêmes… Dans cet univers, la
torture pousse la cruauté jusqu’à détruire la filiation à l’intérieur de la
famille et la communauté. Il faut, à tout prix, détruire l’espace, qui répartit
les places inaliénables de chacun, en apposant le distance entre les générations
et entre les filles et les fils de la même fratrie…
Nos interlocuteurs n’ont pas toujours envie d’entendre
parler de la torture. Lorsque le sujet entre dans la conversation, il se peut
qu’il y ait un grand blanc, un changement de sujet ou au mieux une discussion
très succincte et survolée. La torture fait peur parce que, de plus en plus
souvent, elle est pratiquée par des gens d’ici et là, des gens de tous les
jours. Et c’est contre ce sujet tabou que le docteur Dutertre se bat et sur
lequel il nous fait part de son métier.
Un médecin face à la torture… Le docteur Dutertre s’est
donné pour mission de soigner ceux dont les souffrances sont le fruit de
tortionnaires à l’écoute d’un régime totalitaire, d’un Etat en guerre civile ou
autre… Les tortures se pratiquent là où l’autorité est une dictature. Ils
reçoivent en leur centre de soins 800 personnes par an. La moyenne d’âge est de
25-30ans. Des ressortissants de 46 pays alors que 150pays sur 198 pratiquent la
torture. 80ù de leurs patents sont africains, les autres viennent d’Europe et
de l’ex URSS, d’Asie, du Maghreb, des Amériques et du Proche-Orient. Tous torturés dans des commissariats, des
casernes, des prisons ou même chez eux. Quand ils se réfugient en France, ils viennent
au centre de soins grâce au bouche à oreille, par le biais de centre d’accueil
où sont envoyés par l’Ofra (Office français de protection des réfugiés et
apatrides.) IL n’y a pas 10ù d’entre eux qui ont des papiers en règle.
Mais que deviennent ces victimes ? Que leur arrive-t-il
une fois confrontés à la vraie vie ? Comment vivent-ils leur trauma ?
Ces questions ont bien évidemment plusieurs réponses. Certains, la plupart dans
ce livre, peuvent avoir des réactions violentes et incontrôlées face à une
scène similaire ou une parole identique à leur vie sous la torture. Réactions
violentes qui se manifestent soit par la
parole simplement mais également par des coups et blessures. Stimulation de l’auto-défense.
Un métier dur, réaliste et combien précieux et honorable… « il faut évoquer l’indescriptible ».
En effet, c’était un moyen pour lui de montrer l’horreur présente dans beaucoup
de pays. Chaque jour il écoute avec soin et sensibilité les témoignages ô
combien cauchemardesques de réfugiés.
Plus qu’un témoignage, Terres inhumaines est un ressentiment
de plusieurs vies torturées dans le monde d’aujourd’hui que le Docteur Dutertre
nous raconte. Ce livre est captivant dans la curiosité qu’il apporte mais aussi
dans l’ébahissement. Car comment ne pas ressortir choqué d’histoires de
torture, de tortionnaires, de gouvernements voisins totalitaires ? Si l’on
est sensible, qu’on a l’imagination et que l’on peut voir, sentir, comprendre à
la sensation près ce que l’on lit… Ce livre est à la fois une source de vérité
qui hanteront vos nuits. La visée de ce témoignage est de faire prendre
conscience de ce qu’est la torture, cette réalité trop souvent tue, et sont l’évocation
suscite très généralement une réaction de stupeur.
Compte-rendu lecture
Terres inhumaines, un médecin face à la torture.
(Pierre Dutertre, JC Lattès – 2007)
Natacha Bordes
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire